Trois sœurs | État des lieux terrifiant des violences conjugales et domestiques en Russie


C’est en imaginant un récit sororal que je me suis plongée dans ce roman. Pouah… quelle claque cela a été en lisant les mots de Laura Poggioli !

Les trois sœurs ont vraiment existé : elles sont russes et en 2019 elles ont tué leur père, après des années à subir ses sévices. C’est sur ce terrible fait que s’ouvre le roman ; un acte dont je n’avais jamais entendu parler alors qu’il est encore très récent. En le mentionnant, l’autrice a immédiatement captivé mon attention !

Quand la police de Moscou est arrivée, les trois sœurs étaient assises le long du mur à côté du cadavre de leur père. Il avait le poil noir, le ventre gras, une croix dorée autour du cou. Depuis des années, il s'en prenait à elles, les insultait, les frappait, la nuit, le jour. Alors elles l'ont tué.
La Russie s'est déchirée à propos de ce crime, parce qu'il lui renvoie son image, celle d'une violence domestique impunie. À vingt ans, Laura Poggioli a vécu à Moscou. Elle aimait tout : la sonorité de la langue, boire et sortir, chanter du rock. Elle a rencontré Mitia, son grand amour. Parfois il lui donnait des coups, mais elle pensait que c'était sa faute. « S’il te bat, c’est qu’il t’aime » dit un proverbe russe.

En ouvrant ce roman, je pensais y trouver de l’émotion et une certaine ressemblance avec mon histoire personnelle puisque nous sommes également trois sœurs dans la famille. Je m’attendais à un récit choral, une aventure partagée, des découvertes entre sœurs… vous comprenez maintenant à quel point je me suis trompée, et pourquoi ce livre m’a tant secouée !

Évidemment, beaucoup d’émotions sont présentes au sein de ces pages. Mais ce qui en ressort le plus, c’est ce sentiment de révolte. De dégoût. D’impuissance aussi. Et enfin, d’indignation. Car l’histoire des trois sœurs, qui possède certes un caractère exceptionnel (une très grande médiatisation, à l’échelle du pays), est tout de même révélateur d’une société dans laquelle il ne fait pas bon d’être femme. En y entremêlant son histoire personnelle, Laura Poggioli tire le portrait de la Russie, ce pays à l’histoire très tumultueuse – on ne se rend pas compte de ce qu’a été le communisme là-bas, ni le changement brutal que ça a été de passer à un nouveau système. Et dans tout cela, la place des femmes ? Elles ont beau eu le droit de vote bien plus tôt qu’en France, dès qu’il en vient au sujet des violences domestiques et féminicides, il n’y a plus personne pour les défendre. En témoigne ce dicton russe très populaire, répété à plusieurs reprises dans le roman : « s’il te bat, c’est qu’il t’aime ».

Les femmes russes ont obtenu le droit de vote en 1917, quand les françaises ont attendu 1944. Elles ont bénéficié de plus d'égalités qu'elles n'auraient voulu, forcées à des travaux qu'aucune femme ne faisait généralement: elles ont construit des routes, des voies de chemin de fer, ont travaillé dans les usines pendant la guerre, fabriqué des armes... Alors qu'en Occident les femmes se battaient pour avoir les mêmes droits que les hommes, les femmes russes rêvaient de n'avoir qu'à élever leurs enfants avec un homme pour s'occuper d'elles! La faible popularité du féminisme vient de ce paradoxe.

« Trois sœurs » se lit terriblement vite ; mon cœur s’est serré au même rythme que les pages se tournaient. Si l’autrice prend le temps de poser son contexte – comprenez que la première partie est longuette – c’est pour ensuite présenter une fine analyse de son vécu, aussi bien amoureux que familial, sans oublier de faire le lien avec ce pays qu’elle aime tant, et qui l’a tant changée. Nombreux sont les passages de ce roman m’ayant touchée ou choquée, à la fois par leur portée féministe mais aussi par la justesse des mots et les réflexions de Laura Poggioli.

Bref, je recommande ce récit implacable et malheureusement très actuel à toustes celleux qui se sentiront capables de lire une telle histoire ! gardez bien en tête que la violence est omniprésente et qu’elle peut réellement vous heurter. De mon côté j’ai été saisie par la plume de l’autrice et je compte bien découvrir d’autres de ses parutions.


Trois sœurs | Laura Poggioli
lu en décembre 2023 aux éditions L'iconoclaste


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6 commentaires:

  1. Il faudra sans doute trouver le bon moment pour s'y plonger, mais c'est un livre sur lequel je suis susceptible de craquer...

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  2. « S’il te bat, c’est qu’il t’aime » Quelle violence rien qu'en quelques mots... Je ne suis pas certaine d'avoir le cœur bien accrochée pour cette lecture. Elle a l'air intéressante et impactante c'est certain, mais je crois qu'il faut être prête à se lancer dans ce genre de récit. Pour l'instant non, mais qui sait, peut-être que plus tard je me laisserais tenter.

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    1. Effectivement c'est important de se lancer dans cette lecture uniquement en connaissance de cause ! Je comprends tout à fait ton ressenti.

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  3. Moi non plus, je n'ai pas entendu parler de cet événement pourtant récent.
    Il a l'air poignant et révoltant ce livre.

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    1. Il faut dire que l'actualité de la Russie a été noyée par la guerre contre l'Ukraine 😞

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Créé par Pauline LF. Fourni par Blogger.