Je lis donc je suis

Ce petit roman qui ne paye pourtant pas de mine a conquis un grand lectorat lors de sa publication en 2020 ! En effet, dès sa parution, le nom des deux auteurs était partout : physiquement en librairie, et virtuellement sur les réseaux sociaux. « Alabama 1963 » semblait dire déjà beaucoup de choses sur ce qu'il refermait. Toutefois, une fois le contexte posé, impossible de prédire l'issue du récit… Vraiment ?

Birmingham, Alabama, 1963. Le corps sans vie d’une fillette noire est retrouvé. La police s’en préoccupe de loin. Mais voilà que d’autres petites filles noires disparaissent…
Bud Larkin, détective privé bougon, alcoolique et raciste, accepte d’enquêter pour le père de la première victime.
Adela Cobb, femme de ménage noire, jeune veuve et mère de famille, s’interroge : « Les petites filles, ça disparaît pas comme ça… »
Deux êtres que tout oppose. A priori.

C'est avec une facilité déconcertante qu'on se glisse dans les pages de ce roman écrit à quatre mains. Ludovic Manchette et Christian Niemiec ont su créer une ambiance particulière dans un décor aride et sec ; l'Alabama raciste de 1963 se dévoile à nous à grands renforts de ségrégation. On y croise de riches blanches insupportables et ridicules, des Noirs habitants dans un quartier fait de petites bicoques branlantes, des policiers totalement indifférents aux disparitions inquiétantes de fillettes noires. De ce fait, l'angoisse rode, mais n'envahit jamais le lecteur, ni les personnages. Dommage, car ce thriller aurait pu être glaçant ! De même, l'enquête manque de rythme : on sent que les protagonistes pataugent, reviennent en arrière, ne se posent pas toutes leurs questions,  n'investiguent pas dès que le moindre détail se présente à eux. Une vieille femme presque folle qui a des visions ? Un homme surpris dans un lieu où il n'aurait pas dû être ? Une altercation floue ayant donné lieu à un drame ? Les faits sont présentés, mais aucun des personnages ne tire sur toutes ces ficelles qui sont sous leur nez. Cela peut devenir frustrant.

Certainement au détriment de l'intrigue, les personnages sont présentés avec plus de consistance. Bien qu'il nous manque encore des bribes de leur passé, on s'attache à eux en même temps qu'on apprend à les connaître. Ils n'ont rien du profil du héros de roman habituel, mais ils sont déterminés, persistants, attentifs et réfléchis - Adela tout particulièrement. Ceci explique pourquoi la résolution de l'intrigue m'a laissée perplexe : elle tombait comme un cheveu sur la soupe. Je n'ai pas vraiment compris le choix des auteurs, car cela n’est pas en cohérence avec le reste de l’intrigue…

Bref, un roman court et captivant, qui nous immerge en quelques lignes seulement dans l'Amérique d'il y a 60 ans. Une enquête qui n'en est pas vraiment une, sa résolution étant presque bâclée... Mais des personnages qu’on prend plaisir à suivre. Le bilan est donc positif, j'ai bien envie de continuer à découvrir ces auteurs !

+ l'ambiance du récit

- la résolution de l'intrigue sort de nulle part

lu en mai 2023 aux éditions Pocket